Rhum Nordique

Le vieillissement joue un rôle essentiel dans la formation des saveurs et de l'identité d'un rhum. Mais derrière chaque spiritueux vieilli se cache une influence cruciale, souvent sous-estimée : le climat.

Qu'un rhum soit vieilli sous les tropiques chauds et humides ou dans le climat plus froid et tempéré du Québec, le climat influence son interaction avec le fût. La température et l'humidité influencent les taux d'évaporation, l'extraction du bois et les transformations chimiques qui se produisent pendant la maturation. Ensemble, ces facteurs environnementaux produisent des résultats radicalement différents en termes d'arôme, de saveur, de force et de complexité. 

La chaleur intense du vieillissement tropical accélère le développement des arômes. De l'autre côté, le vieillissement tempéré offre une maturation plus lente qui préserve les subtilités du spiritueux et permet un vieillissement prolongé sans évaporation excessive ni surconcentration. Cela évite également le risque de surextraction du chêne, trop fréquent sous les tropiques, même en fûts relativement neutres, pour les rhums très vieux.

Sous les tropiques, les températures élevées et constantes accélèrent le vieillissement. La chaleur accentuent l'interaction entre le chêne et l'alcool, faisant ressortir la couleur, les composés dérivés du bois et les éléments constitutifs des réactions aromatiques complexes qui se produisent au fil du temps dans le liquide, le tout à un rythme beaucoup plus rapide que sous les climats plus frais.

La part des anges (la part de liquide perdue par évaporation) est également significativement plus élevée sous les climats tropicaux : dans les régions productrices de rhum les plus chaudes, elle est généralement cinq à six fois supérieure à celle des zones tempérées froides. Cela donne des rhums aux notes de fruits mûrs, d'épices à pâtisserie, de caramel et de vanille (issues de fûts plus récents). Les réactions micro-oxydatives jouent également un rôle essentiel, catalysant d'innombrables transformations chimiques au sein du liquide qui façonnent le caractère final du rhum. Lors du vieillissement tropical, ces réactions sont plus rapides et plus fréquentes, ajoutant une complexité exotique. 

La maturation tempérée, comme on le fait à la Distillerie Mitis, fait référence au rhum vieilli dans des régions plus fraîches du monde, loin des centres de distillation de rhum traditionnels.

Contrairement à la chaleur intense des tropiques, ces climats tempérés favorisent un processus de vieillissement plus lent et plus contrôlé qui préserve les subtilités et la complexité du spiritueux. Dans ces conditions, la température et l'humidité sont plus basses, ce qui réduit l'interaction entre le rhum et le chêne. L'évaporation, ou la part des anges, se produit beaucoup plus progressivement, et l'eau et l'éthanol ont tendance à s'évaporer à un rythme plus équilibré. Au fil du temps, cela entraîne une diminution du volume et du taux d'alcool, ce qui donne un spiritueux plus moelleux et plus raffiné, avec une influence du chêne plus douce et mieux maîtrisée. 

Le tout donne des rhums généralement plus doux, plus délicats et riches en nuances, parfaits à déguster purs. Cela permet de mieux contrôler l'environnement de maturation, ce qui permet d'obtenir des arômes spécifiques et une plus grande homogénéité entre les lots. 

Si le climat et le type de fût jouent un rôle clé, la maturation du rhum est également le résultat d’un ensemble complexe de processus chimiques et physiques. Ces processus se déroulent progressivement au fil du temps, à l’intérieur du fût, sous l’influence de la pression, de la température et de petites quantités d’oxygène.

L'un des mécanismes clés du processus naturel de maturation en fût est appelé « activité additive ». En vieillissant en fût, le rhum commence à extraire des composés du bois, notamment la lignine, les tanins, la cellulose et l'hémicellulose ainsi que toute de spiritueux provenant du contenu précédent du fût. Ces extraits naturels du bois, directement ou par interactions, confèrent couleur, corps et saveur, notamment le développement de notes de caramel, de vanille, d'épices et d'autres notes boisées associées aux rhums vieillis. 

La dynamique de la pression interne du fût joue un rôle invisible mais puissant, stimulant l'activité additive. Avec les fluctuations de température saisonnières, la pression dans le fût provoque la dilatation et la contraction du contenu, poussant et tirant l'alcool vers les douelles de bois. Ce mouvement de "respiration" accroît l'interaction entre l'alcool et le chêne, favorisant ainsi l'extraction et l'oxydation. 

Un autre processus crucial est l'estérification : la formation progressive de composés aromatiques appelés esters, par interaction chimique au sein même du liquide. Ces composés se forment lorsque les alcools réagissent avec les acides, principalement pendant la fermentation, mais aussi, dans une moindre mesure, pendant la distillation et la maturation. Les esters, ainsi que d'autres congénères recherchés, jouent un rôle essentiel dans la définition de l'arôme et du goût d'un rhum. Au fil du temps, les esters – souvent ceux formés pendant la fermentation – peuvent réagir et évoluer, formant de nouvelles chaînes ou structures, chacune dotée de propriétés aromatiques totalement nouvelles, contribuant ainsi à la complexité complexe d'un rhum bien vieilli. 

La micro-oxydation joue également un rôle essentiel. Lorsque le spiritueux interagit avec de faibles quantités d'air dans le fût, l'oxygène modifie très lentement et subtilement la composition chimique du rhum. Cette exposition douce favorise une estérification plus poussée et contribue à adoucir la puissance alcoolique et l'astringence tannique, pour une finale plus douce et plus ronde.  

Ensemble, ces processus constituent le moteur invisible du vieillissement du rhum, piloté par la chimie, la sélection des fûts et le climat.